Je me regarde une dernière fois dans le miroir. Ma coupe, mon maquillage, mon vernis sont réglés comme sur du papier millimétré. J’ai osé la robe rouge et les talons aiguille assortis. Je vais peut-être prendre la lumière. Le flash des photographes feront crépiter le feu qui m’agite. J’ai réussi à masquer les cernes qui creusent mon visage par le stress de la cérémonie. J’ai répété toute la nuit mon discours. Je le sais par cœur. Au cas où.

Au cas où je suis lauréate. Cela fait des jours que je fantasme cette scène. Je l’ai joué des centaines de fois dans mon cerveau. Si j’avais vraiment du talent. Si ma vie changeait définitivement. Et si. Et si…

Il est temps d’en finir avec ce suspense insoutenable. Je dois me remettre à conjuguer au présent et reprendre la ponctuation de ma vie. Je ne sais pas. Un point, une virgule, même un point-virgule me permettraient de reprendre ma respiration. Je veux en finir avec cette parenthèse de la sélection avec ces trois petits points de la délibération du jury.

La Présidente du jury enfin s’apprête à prononcer le nom de la lauréate. Mon cœur va exploser. Il cogne sous ma robe rouge.

“Le prix Femina 2021 est remis cette année à Anne Cécile Petit pour ses échanges épistolaires.” 

Ah mon Dieu ! Je dois me lever et dignement marcher jusqu’au pupitre que le Président m’invite à rejoindre. Pourquoi ai-je choisi le rouge ? Mes jambes flagellent.

Je m’arroche et fixe mon auditoire. Je pose les mains sur le pupitre. Je respire et cherche au fond de ma mémoire ce discours que j’ai écrit que je trouve péremptoire d’un seul coup. Je n’ai jamais su improviser.

“Cher jury, chères toutes, chers tous,

Tout a commencé un 8 mars. Symboliquement j’avais choisi la journée de la femme pour envoyer mon manuscrit à l’éditeur .

Une longue maïeutique de mots, la péridurale en moins. Il aura fallu neuf mois et deux confinements, six mois de couvre-feu, la fermeture des cinémas, des théâtres, des musées l’annulation des concerts, des festivals, la fermeture des bars, des restaurants, le report de projets de vacances, l’overdose de zoom… pour aboutir ce projet littéraire qui sommeillait en moi.

Ainsi je voudrais en premier lieu remercier la COVID. Respectueuse de l’Académie française, remarquez que j’emploie l’article LA et non le si communément répand. Une telle épidémie ne pouvait qu’être féminine. Telle Eve mangeant la pomme entraînant l’humanité sous le joug du péché. Non pas du tout ! L’épidémie est féminine parce qu’elle révèle notre extraordinaire résilience, notre capacité à résister, à s’adapter. Les femmes font cela depuis des millénaires. Je suis donc particulièrement fière de recevoir ce prix Femina en ces circonstances.

Ensuite, je voudrais remercier Sophie Ducharme. Sophie Ducharme n’est pas la voyante de mon quartier, celle qui aurait deviné mon fabuleux destin à l’étude des lignes de ma main. Elle n’est pas non plus coach en développement personnel qui aurait su gonfler à bloc le capital confiance en moi.

Sophie Ducharme anime un atelier d’écriture à l’Union Saint Jean à Bordeaux. Toujours bienveillante elle accueille les mots de ses plumots et plumotes dans la joie et le rire. Je repense avec émotion à Laurence, Chrystel, Noémie, Nathalie, Christine, Benjamin, Alexis…que j’avais toujours plaisir à retrouver, même par écran interposé.

Il aura fallu une consigne.  Je me souviens combien je trouvais que ce mot “consigne” renvoyait à l’univers scolaire et  faisait peser un couvercle sur la liberté du stylo sur la page blanche. C’était ma première séance. Il fallait écrire une carte postale à la personne de son choix et raconter ses vacances.

Et naturellement j’ai écrit à ma grand-mère. J’ai réalisé ce jour-là que ce qui m’amenait à l’écriture était que je ne pouvais plus lui écrire des lettres.

Enfin, je voudrais remercier mes grands-parents sans qui je ne serai pas devant vous aujourd’hui. “

Femina
Anne-Cécile