L’enfant est posé délicatement. Le cordon ombilical vient d’être coupé. Le bébé est mal essuyé, nu sur le ventre maintenant vide. Appuyé sur les avant-bras, il regarde droit dans les yeux de la mère. Ceux de l’enfant ont une couleur ardoise. Le gris est dense d’une couleur inédite qui n’appartient qu’aux nouveaux nés. Il semble refléter la lumière et pourtant il est profond. Les deux regards sont suspendus l’un à l’autre. Le regard gris ne lâche pas les yeux de la mère. Il semble à cette dernière que tout soit à écrire, dans ces yeux, mais qu’ils sont aussi emprunts d’une sagesse millénaire. L’enfant est vieux de toutes les histoires de ses ancêtres autant qu’il est neuf de la sienne. Son regard dit à la mère impressionnée la responsabilité qu’elle a. Mais elle est forte de cette naissance et l’inconnu minuscule lui est plus familier qu’aucune autre rencontre.

Ils sont ensemble dans une espace-temps qui échappe au reste du monde. Combien de temps ce regard a-t-il duré ? Combien de temps faut-il pour que deux êtres se racontent d’où ils viennent, où ils vont et comment ils vont s’accompagner et parcourir ensemble leur chemin de vie ? Ce regard avait l’intensité d’une éternité, le vertige d’une rencontre, le souffle de l’avenir. Heureuse était la mère de cet incroyable pacte ainsi scellé.

Perdue dans l’insondable mystère du gris ardoise, la question du sexe de l’enfant avait été transcendée. Il n’était ni fille, ni garçon, il était une personne porteuse d’un passé muet et d’un avenir qu’il leur faudrait écrire.

C’était le temps de leur rendez-vous, le temps de leur naissance mutuelle, de leur rencontre sublime. Après la violence de la séparation était venu le temps de leurs retrouvailles.

Laurence