Quand le soleil se levait sur le vignoble familial, on pouvait distinguer une belle rosée qui perlait sur les feuilles d’un vert intense au profil découpé. Quel beau vignoble celui de mes parents ! Les gouttelettes d’eaux en suspension, nimbées d’un rayon de soleil généreux, faisaient naître un joli sourire sur le visage de mon père. Tout laissait présager que les vendanges allaient bien se passer, les baies étaient sphériques avec une belle peau bleu-noir. Les rosiers, plantés en bout de chaque rangée de merlot, apportaient une note  de rouge et donnaient l’alerte en cas d’une attaque éventuelle de parasites.

            En portant à ma bouche un grain de raisin, je constatais que la pulpe était juteuse, d’une saveur agréable et sucrée. Les premiers porteurs revêtus de leur houille étaient en position. Aux premiers coups de sécateur, les belles grappes commençaient à tomber et on entendait les murmures qui indiquaient des paniers généreusement remplis. Mon père, ce personnage haut en couleur, avait l’habitude, avant de démarrer les vendanges, de prendre dans ses mains un peu de terre. D’un geste familier, il brisait la motte entre ses doigts potelés et rugueux. Ce truculent personnage, coiffé de son béret basque, vociférait haut et fort les consignes en brandissant du haut de ses 1m60 une grappe de merlot :

         – Une grande année, vous pouvez me croire !

            Avec ses 40 années d’expérience dans l’Irouléguy, il incarnait le respect et la sympathie pour ses collègues. Sa salopette verte faisait apparaitre un ventre généreux qui inspirait confiance. Il coiffait régulièrement sa belle moustache en fer à cheval en déplaçant une Gauloise sans filtre posée sur ses lèvres gercées. Les allers-retours du vieux tracteur qui emportait la vendange, matérialisaient son passage par la vétusté de la mécanique. Ce Massey Ferguson des années 1960 de couleur rouge et les clac-clac de son moteur, laissaient à penser que les cylindres avaient fait leur temps. La fumée bleue qui s’en échappait indiquait une consommation importante d’huile-moteur. Année après année, mon père s’était résigné à garder le tracteur de mon grand-père. Une manière à lui de préserver dans ses souvenirs les vendanges aux côtés de son père.

            Quand je bois le vin de cette récolte, je revois le visage de mon père fier et aimant et, quand il coule un peu trop vite dans mes veines, je suis de nouveau à ses côtés, assis sur son mythique Massey Ferguson.

Gérald